mardi 28 juillet 2009

David Ricardo reste d'actualité pour comprendre les échanges internationaux


La postérité des Principes de l'Economie Politique et de l'Impôt doit beaucoup aux quelques pages que consacre Ricardo au commerce extérieur. A la manière d'un Keynes vis-à-vis des "Classiques", Ricardo ramène la théorie smithienne de l'échange au statut de vérité locale en prenant soin de différencier le commerce suivant tout d'abord son périmètre d'action (local/international) puis la nature du consommateur auquel il s'adresse (salarié/capitaliste). A l'intérieur d'un pays, la répartition des activités s'effectue selon la logique des avantages absolus, le capital se dirigeant vers les zones où le profit est le plus élevé. En revanche, l'aversion des manufacturiers pour le risque limite la mobilité internationale des capitaux et préserve la diversité productive, ce qui offre à chaque pays l'opportunité de valoriser sur les marchés internationaux ses points d'excellence ou de moindre handicap. Cette division du travail n'est cependant pas une condition suffisante pour que le taux de profit progresse, car seules les importations de biens consommés par les salariés qui permettent d'alléger le coût du travail ont un effet positif sur la profitabilité des entreprises. Le commerce de biens de luxe à destination des classes les plus aisés consitue selon lui une sorte de gaspillage de ressources, ce qu'il semble reprocher à Adam Smith d'avoir ignoré.

Près de deux siècles ans après sa formulation, la théorie des avantages comparatifs fait toujours l'objet d'une confrontation avec les évolutions du commerce international et conserve, nous semble-t-il, son intérêt pour interpréter l' actualité des échanges.

Le paradoxe des avantages relatifs

Importer un bien que seul l'étranger est capable de produire, en raison d'une spécificité géographique, ne soulève aucune objection majeure. L'avantage absolu s'impose de lui même et on se résout bien volontiers à se fournir en cachemire dans le pays du même nom. Mais la majeure partie des biens importés pourraient tout aussi bien être produits localement. Tel est le paradoxe de l'échange international auquel la théorie de l'avantage relatif fournit une solution. L'exemple célèbre de Ricardo(Angleterre/Portugal; drap/vin)montre que le Portugal a intérêt abandonner à l'Angleterre la production de drap ,même s'il y est plus efficace, par ce qu'est encore dans la production de vin que le Portugal est le plus rapide. Mais que se passe-t-il lorsque les deux pays sont très similaires et capables de produire les deux biens dans des conditions presque identiques?. On aura bien du mal à faire accepter aux opinions les ajustements sociaux qui accompagnent l'échange et la spécialisation, tandis que le gain de l'échange semble limité. C'est ici que le théorême de l'avantage relatif s'avère très utile puisqu'il justifie la spécialisation quel que soit l'écart productivité entre pays dans la mesure où chacun se concentre sur ce qu'il sait relativement le mieux faire. Le commerce peut naître de petites différences, à condition que les coûts de transports soient modestes. Dans l'exemple de l'Angleterre et du Portugal, les termes de l'alternative sont d'une part un commerce à sens unique ( si l'on applique les avantages absolus, le Portugal produit tout) et d'autre part, un commerce à double sens (qui suit la logique de l'avantage comparatif) . Entre deux pays très proches, l'alternative est plus radicale puisque l'autarcie s'oppose au commerce. L'universalisation du principe de la division du travail est le grand mérite des avantages comparatifs (ceux qui ont enseigné et cherchent non pas à conforter une élite mais à valoriser les points forts de chacun en savent quelque chose).


Face à la concurrence des pays émergents

Pour les producteurs des pays industrialisés qui redoutent d'être submergés par leurs concurrents du Sud, lorsque ces derniers cumulent bas salaires et accès rapide aux technologies, la loi des avantages relatifs est une bonne nouvelle. Ricardo souligne les nombreux obstacles géographiques, culturels ou règlementaires qui découragent la mobilité des facteurs et empêchent, pour longtemps encore, la constitution d'une économie mondiale. Toutefois, il reconnait que le capital peut traverser les frontières capital et évoque, dans le chapitre "Des machines", les conséquences d'une trop grande taxation des profits en économie ouverte: "Dans un pays, l'emploi des machines ne pourrait jamais être découragé sans danger; car si l'on n'autorisait pas un capital à recueillir tout le revenu net que lui procurerait l'utilisation des machines, il ira à l'étranger; et cette fuite de capitaux décourage bien plus la demande de travail que l'emploi de machines le plus étendu". En tant qu'adversaire résolu de la fiscalité, Ricardo n'aurait pas considéré d'un mauvais oeil la concurrence fiscale qui ne cesse de s'étendre.

Ricardo n'est pas aveugle aux conséquences sociales du commerce, c'est ce que le démontre le chapitre intitulé "Changements brusques dans les voies du commerce" dans lequel il évoque les jours difficiles auxquels doivent se préparer les économies les plus avancées : "Dans les pays riches et puissants où d'importants capitaux sont investis dans les machines, un retournement de tendance de l'activité sera ressenti plus durement que dans les pays pauvres, où le rapport du capital fixe au capital circulant est moindre, et où, par conséquent, une part plus importante de l'ouvrage est réalisée par le travail de l'homme" car "Il est moins difficile de détourner du capital circulant que du capital fixe, d'un emploi quelconque. Il est souvent impossible d'employer dans une autre manufacture une machine construite pour une autre manufacture". Libéral, Ricardo n'en déduit cependant pas la nécessité d'une intervention publique : "Il s'agit là d'un mal auquel une nation riche doit se soumettre; il ne serait pas plus raisonnable de s'en plaindre qu'il ne le serait pour un riche négociant de se lamenter sur les dangers de la mer auxquel son navire est exposé, alors que la chaumière de son voisin pauvre est à l'abri de ces périls". Préfigurant la destruction créatrice à la Schumpeter, Ricardo considère les "crises du commerce" comme des facteurs de renouvellement et de croissance et y voit le prix à payer pour que le Sud se développe à son tour. Sa prise en compte du différentiel de mobilité des facteurs préfigure cependant les réflexions actuelles sur la façon de penser les compensations à apporter tout en améliorant la flexibilité factorielle (débats sur la "flexsécurité" ou à propos de la "sécurité sociale professionnelle").

Un modèle invalidé par les évolutions récentes des échanges?

Les nouvelles théories du commerce international reposent sur des hypothèses que Ricardo avait ignorées ou minorées comme l'existence de rendements d'échelle croissants, le goût des consommateurs pour la diversité et la concurrence imparfaite. Grace à elles il est possible de prédire la concentration des flux commerciaux entre pays semblables ainsi que leur nature intra-branche (flux croisés de biens similaires), autant de faits stlylisés que le modèle ricardien standard semble exclure. Le domaine de validité des avantages comparatifs se réduirait-il aux flux Nord/Sud et aux déséquilibres des soldes commerciaux? Notons que la conception ricardienne de l'avantage comparatif est plurielle : elle repose à long terme sur les écarts de productivité mais peut être influencée au moins temporairement par les goûts volatiles des consommateurs ("l'influence de la mode, des préjugés ou du caprice" ) ou les aléas fiscaux et politiques. De plus, il a été montré que la dynamique du commerce intra branche européen doit beaucoup à la division du travail selon le degré qualité des produits. La logique de spécialisation ne disparaît pas mais, en raison de la différenciation verticale, subsiste à un niveau plus fin.

Ricardo affirme à plusieurs occasions que seul le commerce qui concourt à alléger le coût du travail (par l'entrée de produits de consommation courante à moindre prix) ou du capital (grâce à l'importation de machines plus performantes) exerce une influence favorable sur la dynamique capitaliste. Tout porte à croire qu'il aurait accueilli avec le plus vif intérêt la multiplication des flux de composants et d'équipements que l'on observe à l'heure actuelle.


Spécialisation verticale et avantage comparatif

Depuis une dizaine d'années, l'attention des économistes se porte sur ces échanges entre firmes qui consistent en flux temporaires de biens intermédiaires intégrés par la suite à des produits finis que l'on destine à la réimportation/exportation. Ce commerce a représenté 30% de la croissance des exportations des principaux pays de l'OCDE et émergents entre 1970 et 1990 et la tendance n'aurait cessé de s'accentuer depuis. Certains auteurs (1) en déduisent que le concept d'avantage comparatif est désormais caduque: d'un côté on ne pourrait plus raisonner en termes strictement nationaux lorsqu'une part croissante des biens exportés par un pays A incorpore des éléments produits en B, C ou D; d'un autre côté ces échanges prospèrent plutôt entre pays similaires. Certes, il est incontestable que la spécialisation verticale a atteint une intensité particulière dans le secteur industriel au point que la valeur ajoutée produite localement ne représenterait que 20 à 40% des flux internationaux (2)). Ceci ne constitue cependant pas une réfutation de l'approche ricardienne. Pourquoi l'avantage comparatif d'un territoire disparaitrait lorsqu'il se rattache à un segment de production plutôt qu'à produit entier? Le pays qui délocalise certains segments d'une production n' approfondit-il pas au contraire sa spécialisation sous la pression de la concurrence internationale? Selon B. Bridgman (3), le démantèlement des barrières commerciales dans le domaine industriel a considérablement facilité cette stratégie en permettant d'aller plus loin dans l'exploitation des écarts de productivité minimes qui existent entre pays industriels et cela d'autant plus que les échanges verticaux impliquent de multiples franchissements de frontières. Mais il reste à déterminer l'origine de ces avantages comparatifs verticaux. Les travaux que nous avons pu consulter montrent que ce sont les pays les plus riches qui s'engagent le plus intensément dans le commerce vertical et qu'ils y occupent les segments les plus intensifs en technologie, particulièrement exigeants en capital humain et en recherche et développement, tandis que les pays du sud associent à leur avantage comparatif en termes de coût du travail la qualité des infrastructures de transport et de communication qui sont indispensables pour optimiser la coordination internationale des unités productives(4) (5). A la différence du modèle ricardien standard, les approches récentes insistent cependant sur le caractère endogène des facteurs de compétitivité commerciale.

Il est un élément du "ricardianisme" qui a totalement disparu de la réflexion: le lien entre les échanges et les rapports de classes. Le théorême de Stolper Samuelson s'emploie à décrire les conséquences inégalitaires du commerce mais il fait pâle figure à côté de la "grandiose dynamique" ricardienne dont on connait le rôle dans la promotion du commerce international.


(1) Baldone S, Sdogati F, Tajoli L. (2007), " On some effects of international fragmentation on comparative advantages, trade flows and the income of countries", The World Economy 30 (11).
(2) Johnson R. , Noguera G, (2009), "Accouting for intermediates: production sharing and trade".
(3) Bridgman B. (2009), "The rise of vertical specialization trade". Bureau of economic analysis.
(4) Hildegunn K., (2004) "Determinants of vertical specialization" WTO. http://www.ecomod.net/conferences/iioa2004/iioa2004_papers/543.pdf
(5) Greenaway D.(1997) "Economic geography, comparative advantage and trade within industries, evidence from the ocde" FIEF . http://swopec.hhs.se/fiefwp/papers/WP144.pdf

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