vendredi 24 juillet 2009

Les conséquences de l'esclavage sur le développement de l'Afrique

"If you want to say someone is not to be trusted in Fon, a language spoken in coastal Benin and Togo, the best phrase to use translates as “This person will sell you and enjoy it.” The Fon region was, tellingly, one of the historical epicenters of the transatlantic slave trade. That era’s legacy of mistrust endures today.Economists Nathan Nunn of Harvard University and Leonard Wantchekon of New York University recently compared historical data on the slave trade with contemporary household surveys on community relations. They found that in regions of Africa where the slave trade was most concentrated, people today extend less trust to other individuals: not only to foreigners, but also to relatives and neighbors. Nunn thinks the trauma associated with the slave trade continues to stall economic development in affected regions of Africa. Major shocks, he says, can “change people’s behavior in ways that seem pretty permanent.” Joshua Keating (Foreign Policy)

Entre 1400 et 1900, près de quarante millions d’africains ont été razziés et réduits en esclavage. Seule la moitié d’entre-eux parvint à rejoindre en vie les zones de travail forcé qui comptaient aussi bien les colonies européennes que l’Afrique du nord, le Moyen Orient ou l’Inde. De nombreux auteurs ont avancé l’hypothèse que l’esclavage avait retardé le développement du continent africain mais c’est le mérite de l’économiste américain Nathan Nunn de quantifier cet impact en tenant compte de l’ensemble de la traite, y compris non européenne. Son résultat est plutôt fascinant. Il affirme que sans l’esclavage le revenu par habitant moyen de l’Afrique serait identique à celui des autres pays du Sud et que le retard du continent vis-à-vis de la moyenne mondiale serait comblé à 72%. Résultat tranché et spectaculaire qui a provoqué une intense discussion mais dont personne n’a remis en cause le sérieux de sa méthodologie.

Comment des évènements après tout lointains pèsent-ils aussi fortement sur le destin des africains? Au plan économique, l’exportation d’individus généralement jeunes et en bonne santé a amputé le continent d’une masse considérable de consommateurs et de producteurs. Plus qualitativement, la diminution de la densité de population n’aurait pas incité à améliorer les techniques et les rendements agricoles. Mais c’est du côté des facteurs institutionnels qu’il faut se tourner pour comprendre les effets les plus durables de la traite. Cette activité aurait détruit les Etats traditionnels et contribué à la la
fragmentation ethnique des pays fournisseurs d’esclaves (pour réduire le risque d’être rapté par un clan rival, chaque ethnie aurait eu tendance à se replier sur elle même). La recherche de gains faciles, l’insécurité généralisée auraient provoqué un gaspillage de ressources nuisible au développement économique. D’après les estimations de N. Nunn, il existe une relation très forte entre le niveau de vie par habitant en 2000 des pays africains et le nombre d’esclaves exportés. Les pays africains les plus pauvres sont ceux qui ont fourni le plus d’esclaves par le passé, comme la Gambie, la Sierra Leone ou l’Angola (en bas à droite sur le graphique ci-dessous) et les pays épargnés par l’esclavage ont connu un destin économique plus favorable.



Des travaux supplémentaires concluent que les zones accidentées ou reculées, abritées du commerce d’esclaves, ont bénéficié d’un avantage économique : “
Nunn et Puga (2007). Ces auteurs montrent qu’une géographie accidentée engendre un effet négatif, elle hausse les coûts de production et de transport, mais cette géographie a aussi permis aux habitants d’échapper à l’esclavage, Bah (1976) montre en effet que les cavernes et les falaises servaient de refuge au sud-est du Sénégal et Brasseur (1968) détaille comment au Mali les terrains montagneux permettaient aux Dogons, de protéger leur territoire. Une géographie désavantageuse aurait ainsi eu un impact positif qui se ressent encore aujourd’hui et domine même l’effet négatif ! ” (Blogage sur l’économie internationale, Fabien Candau)

Les estimations de Nunn vont dans le sens de nombreuses observations antérieures. On peut citer par exemple Jacques Turgot qui dans ses
Réflexions sur la Formation et la Distribution des Richesses (1766) soulignait la relation entre esclavage et morcellement politique : “Cette abominable coutume de l’esclavage a été autrefois universelle, et est encore répandue dans la plus grande partie de la terre. Le principal objet des guerres que les anciens peuples se faisaient était d’enlever des esclaves que les vainqueurs faisaient travailler pour leur compte ou qu’ils vendaient à d’autres. Ce brigandage et ce commerce règnent encore dans toute leur horreur sur les côtes de Guinée, où les Européens le fomentent en allant acheter des Noirs pour la culture des colonies d’Amérique. Les travaux excessifs, auxquels des maîtres avides forcent leurs esclaves, en font périr beaucoup; et il faut, pour entretenir toujours le nombre nécéssaire à la culture, que le commerce en fournisse chaque année une très grande quantité. Et, comme c’est toujours la guerre qui fait les premiers fonds de ce commerce, il est évident qu’il ne peut subsister qu’autant que les hommes sont divisés en nations très petites, qui se déchirent sans cesse, et que chaque bourgade fait la guerre à sa voisine. Que l’Angleterre, la France et l’Espagne se fassent la guerre la plus acharnée, les frontières seules de chaque Etat seront entamées de cela par un petit nombre de points seulement. Tout le reste du pays sera tranquille, et le petit nombre de prisonniers qu’on pourrait faire de part et d’autre, serait une bien faible ressource pour la culture de chacune des trois nations“. Notons au passage que Turgot inverse la causalité privilégiée par Nunn puisque dans son esprit c’est l’émiettement politique qui encourage la pratique des rapts à visée esclavagiste. On peut d’ailleurs se demander si les résultats de Nunn n’ont pas enregistré les effets d’un morcellement ethnique qui aurait préexisté à la traite des esclaves.

Les conséquences délétères de l’esclavage occidental sur les sociétés africaines ont été abordées plus récemment par l’historien
John Iliffe (Les Africains : Histoire d’un Continent) cité par Chritopher Bayly de façon éclairante : “Certains spécialistes ont également avancé l’idée qu’un des effets à long terme de la traite fut d’accroître l’esclavage au sein même des sociétés africaines, notamment celui des femmes. Il est probable que l’abolition par les britanniques de la traite négrière causa une augmentation du nombre d’esclaves en Afrique de l’Ouest, et contribua à y mettre en place une société encore plus stratifiée. Les révoltes d’esclaves, contre leurs maîtres africains poussèrent certains rois à perpétuer localement les sacrifices humains rituels, lesquels servaient à la fois d’avertissement aux criminels et à terroriser les esclaves“. Christopher Bayly. La Naissance du Monde Moderne (2007).

Grâce à N. Nunn (qui a dit que les économistes ne servaient à rien?) les Africains mesurent plus correctement le poids considérable du passé esclavagiste. Il leur reste à agir pour qu’une telle fatalité ne pèse plus sur leurs épaules…

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